Après avoir étudié les mécanismes linguistiques
qui expliquent la formation de nouveaux mots et ceux qui régulent
leur diffusion et leur acceptation, nous avons essayé de rédiger
une liste minimale de vocabulaire pour Internet. Ce glossaire devait représenter
une sorte d'état des lieux de la langue qui semble en train de se
former sous nos yeux. En le rédigeant, une constatation paradoxale
s'est cependant imposée : il était extrêmement difficile
de dégager un noyau de mots réellement communs à tous
les utilisateurs. Chaque personne semblait utiliser selon ses habitudes
et ses centres d'intérêt un vocabulaire différent.
Il existait de nombreux mots jugés essentiels par certains qui étaient
inconnus à d'autres. Paradoxalement, il ne semblait pas y avoir
une langue de l'Internet mais plusieurs.
Cette fragmentation de la langue était-elle un état transitoire
de la langue ou bien une caractéristique intrinsèque d'Internet
? La langue d'Internet était-elle en fait déjà divisée
en milliers d'idiomes différents ? Le réseau mondial, trop
puissant, était-il victime de la malédiction de Babel ? Nous
avons alors essayé de passer en revue les facteurs de division du
réseau et les mécanismes qui pouvaient expliquer cette étonnante
diversité linguistique.
Techniquement, des divisions existent : c'est à tort que
l'on parle d'Internet au singulier. Le réseau est un média
de communication et n'impose rien quant à la nature et la forme
des messages et des informations échangées entre les utilisateurs.
Internet permet en fait d'échanger tout type d'information numérique,
que cela soit du texte, du son ou des données informatiques. Il
ne faut pas le confondre avec le courrier électronique ou le Web,
qui ne sont que deux types d'applications utilisant ce réseau. Il
existe des centaines de programmes utilisant les possibilités d'Internet
pour faire communiquer des internautes. Si des élèves de
l'ENST réalisaient un nouveau programme de réalité
virtuelle permettant à des utilisateurs sourds-muets de communiquer
par le langage des signes, ils ajouteraient à la longue liste des
moyens de communication disponibles un nouveau logiciel.
L'inventaire des formes de communication possibles sur Internet est beaucoup plus large que ce que l'on imagine couramment. On peut distinguer ainsi:
le courrier électronique: la quasi totalité des internautes utilise ce moyen de communication, à la fois simple et robuste. C'est historiquement l'une des applications les plus anciennes d'Internet (vers 1972).
le world wide web: au départ, des chercheurs du CERN ont inventé un moyen pratique pour consulter des documents électroniques et pour se consulter leurs références. Aujourd'hui, c'est un média à part entière qui séduit des dizaines de millions d'utilisateurs. La popularité de cette application est telle qu'elle est souvent confondue avec le réseau Internet lui-même! Ceci est dû particulièrement aux logiciels comme Netscape qui marie de nombreuses fonctionnalités différentes dans un même logiciel. N'oublions pas l'ancêtr e du Web : le gopher.
les forums électroniques (news): ce sont des espaces de débat thématiques. Il existe des milliers de sujets différents allant de l'informatique aux jeux de société. Les participants lisent et envoient des messages ressemblant aux courriers électroniques.
les listes de diffusion : elles sont très proches des forums électroniques mais elles sont moins centralisées et parfois plus difficiles d'accès. Souvent les forums électroniques sont des listes de diffusion qui ont réussi.
(Internet Relay Chat): il s'agit de canaux permettant aux participants de dialoguer de manière instantanée.
les jeux de rôles (Multi User Dungeon): reprenant le principe des jeux de rôle où un maître de jeu fait vivre par ses seules paroles un univers mythique, ces logiciels permettent aux utilisateurs d'incarner un personnage, d'explorer un monde plein de richesses et de dangers et de rencontrer d'autres joueurs. Tout cela sans aucune image, grâce au seul pouvoir évocateur des mots...
les mondes virtuels: utilisant les possibilités des nouveaux ordinateurs, ces logiciels recréent un univers 3D dans lequel l'utilisateur s'incarne sous forme d'un avatar. Il peut alors rencontrer d'autres personnes évoluant dans le même univers et engager une discussion. Des jeux de rôles importants utilisent ce système, assez lourd à mettre en place.
les systèmes de repérage (ICQ : I Seek You): les utilisateurs pouvant être présents sur le réseau de différentes manières (grâce aux moyens de communication décrits dans cette liste) et à plusieurs endroits différents (au bureau, chez soi ou en déplacement), des logiciels permettant de savoir instantanément si un utilisateur est connecté et sont en train de devenir indispensables.
les systèmes de programmation collective : le réseau fonctionne principalement grâce à des logiciels gratuits issus de l'effort collectif de programmeurs venant des quatre coins du monde. Ils utilisent des listes de diffusion ou des forums de discussion pour s'échanger des informations. Des applications spécifiques leur permettent de travailler sur un même projet sans être physiquement proches et sans se connaître personnellement.
les systèmes pirates d'échange de fichiers (warez): on trouve de tout sur Internet, y compris des copies illicites de programmes, de jeux vidéo ou de musique. Des logiciels spécifiques permettent aux pirates d'installer des sites sur n'importe quelle machine et de réaliser discrètement leurs échanges illicites.
Ce panorama se limite aux programmes les plus connus. Chaque mois, de nouvelles
applications apparaissent, issues des bureaux d'étude d'entreprise
ou de l'acharnement de passionnés. Certaines survivront et quelques
rares s'imposeront car elles répondent de manière pratique
à de nouveaux besoins. Chaque internaute, selon ses goûts
et ses compétences, utilisera certaines de ces formes de communication,
mais pas toutes. Le groupe des internautes présente donc une première
série de divisions majeures, et à chaque outil sera bien
souvent associé un jargon particulier.
On pourrait donc penser que les utilisateurs ne connaissent en fait
que les mots en rapport avec les applications qu'ils utilisent régulièrement.
Il suffirait donc de déterminer le vocabulaire correspondant à
chacune de ces applications pour établir un lexique de tout Internet.
Ce lexique serait important, à cause du grand nombre et de la variété
des moyens de communication disponibles, mais la tâche serait faisable.
Cependant, en essayant d'appliquer cette théorie à notre lexique, nous avons constaté que cette analyse était insuffisante. A coté de ces divisions verticales qui séparent les utilisateurs de différents outils, il semblait y avoir des divisions horizontales correspondant à l'existence de communautés d'internautes. Ces communautés seraient constituées d'utilisateurs partageant certaines habitudes et points communs, communiquant en utilisant un ou plusieurs des moyens techniques disponibles sur l'Internet.
Parmi ces communautés, nous avons pu distinguer plusieurs catégories.
Les premières sont des transpositions de communautés préexistantes
dans le cyberespace. D'autres ont pu naître grâce à
ce nouveau média et font preuve d'un dynamisme linguistique étonnant.
Les internautes cultivent-ils leurs propres divisions ?
2) La transposition de communautés linguistiques existantes
Le réseau Internet permet à des internautes venant du monde entier de se rencontrer et de dialoguer. Si les frontières nationales semblent dépassées face à cette mondialisation, les frontières linguistiques gardent au contraire leur importance dans le cyberespace. Il est en effet difficile de communiquer avec quelqu'un que l'on ne comprend pas. La langue la plus répandue sur le réseau est l'anglais, à la fois pour des raisons pratiques (la plupart des internautes savent parler un peu d'anglais) et des raisons historiques (le réseau est né aux états-Unis).
L'importance croissante d'Internet a poussé les médias et les institutions linguistiques à proposer des traductions pour les principaux mots-clés permettant de décrire son fonctionnement. Nous avons vu la panoplie des mécanismes à