Index
Remerciements
Introduction
Partie 1 - L'invention de nouveaux mots.
Partie 2 - Les mécanismes d'acceptation des mots.
Partie 3 - Une nouvelle tour de Babel
Annexe A - Origine du préfixe « cyber »
Annexe B - L'exemple du courrier électronique
Annexe C - Les smileys et les noms de domaine
Annexe D - Origine étymologique du terme arobase
Annexe E - Sources officielles
Glossaire
Bibliographie
Bibliographie annexe
 
Les mécanismes d'acceptation des mots

Nous avons vu dans la première partie les différents mécanismes de création de mots répondant à des besoins. Ces mécanismes sont très divers, ils semblent parfois rationnels et logiques, à d'autres moments arbitraires voire cocasses. En définitive, quel est le devenir de cette floraison de mots nouveaux ? Pourquoi certains seront-ils employés et d'autres obsolètes alors qu'ils viennent à peine d'être créés ? Bref, pourquoi certains mots " passent " et d'autres non ?

Pour répondre à cette question, nous envisagerons le point de vue de trois groupes concernés par l'apparition de mots nouveaux. Tout d'abord, les scientifiques, souvent pionniers du langage pour leurs besoins personnels. Ensuite, les institutions, qui ont pour charge de " faire prendre " les mots créés. Enfin, ceux qui auront le dernier mot : la foule des utilisateurs, le grand public.
 
 

1) Les scientifiques

    1. Du côté de la recherche

Les scientifiques sont les premiers demandeurs et utilisateurs de mots, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies comme Internet. Bien avant que les vocables pénètrent la culture triviale, il a fallu que les scientifiques adoptent des termes précis et reconnus par le plus grand nombre possible dans le monde de la recherche. Dans le milieu scientifique, avalisation rime avec normalisation. Le but est de se rapprocher d'un langage sans ambiguïtés, à la fois précis et complet pour les spécialistes. Idéalement les scientifiques se retrouveraient sur un langage unique, défini on ne sait trop comment et accepté par tous. La réalité est différente, les concepteurs et les utilisateurs de nouvelles technologies désignent ce qu'ils ont créé afin de pouvoir en parler et c'est la pratique des échanges entre ces différentes personnes qui crée l'habitude de tel mot ou tel autre. Ce phénomène reste a priori interne au monde des sciences dans un premier temps.

Cependant une certaine rigueur scientifique a fait qu'avec Internet sont nés beaucoup de groupes de réflexion, de normalisation parmi lesquelles nous pouvons citer :

      1. Du côté des ingénieurs

Les instances côté ingénieurs sont les suivantes :

Les relations entre les divers organismes ne sont pas toujours aisées et témoignent de l'existence d'un fossé entre le monde de la recherche (celui qui innove, invente, et donc suscite des termes à employer) et celui de la normalisation (qui uniformise, et qui est donc perçu comme plus rigide par les premiers). A titre d'anecdote, on raconte que dans les réunions communes entre ingénieurs et chercheurs, les représentants de l'ISO, donc des ingénieurs spécialistes de normalisation venaient en cravate alors que les représentants d'Internet, des chercheurs adoptaient jeans ou uniforme militaire. Les premiers sont des industriels très attachés aux normes. Les seconds considèrent les normes comme un mal nécessaire. La compétence technique prime pour les seconds, et non pas la position hiérarchique. Les heurts furent nombreux car les chercheurs, les internautes considèrent l'organisme de normalisation comme un monstre bureaucratique, inefficace et prenant plus de temps pour écrire des standards qu'il n'en faut à l'Iternet Engineering Task Force pour faire une solution technique utilisable et utilisée. Cette anecdote met bien en relief deux catégories de personnes ayant une influence sur le langage : d'une part les chercheurs qui communiquent vite mais dans un monde un peu restreint, d'autre part les ingénieurs dont le métier est de commercialiser et donc de répandre la technologie. Pour ces derniers la pérennité et l'accessibilité au public est importante et ils admettent de passer du temps à définir des termes, ce que les chercheurs à concevoir. Les deux sont nécessaires : sans technologie, il n'y a rien à transmettre, mais la seule technologie, si elle est incompréhensible du public perd de sa valeur. [11]
 
 

2) Les institutions

Traditionnellement, en France, l'institution de référence en matière de langage, est l'Académie Française. Elle est garante du langage, et une de ses tâches est de décider quel mot il est " recommandé " d'employer. Un mot retenu par l'Académie, sera passé par les instances suivantes :

  1. Les commissions spécialisées de terminologie et de néologie.

  2.  

     
     
     

    Elles sont spécialisées par thème. Dans le domaine qui nous intéresse - les technologies de l'information et de la communication - il y a en fait deux commissions : la commission relative à l'informatique et aux composants électroniques (que nous appellerons 'informatique' pour plus de simplicité) et celle relative aux télécommunications. La commission informatique a été créée le 5 Août 1997 par décret. Elle comprend un président, 12 représentants d'institutions et 16 personnes qualifiées dans le domaine. L'AFNOR s'occupe du secrétariat. La commission des télécommunications a été créée le 21 mai 1997 par le ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace, M. François Fillon. Elle comprend un président, 18 représentants d'institutions diverses comme l'Académie Française, le Groupement des Ecoles de Télécommunications, l'Autorité de Régulation des Télécommunications -l'ART est en effet représentée dans ces commissions, à cause des contrats à signer-, et 11 personnes qualifiées. Le secrétariat est assuré par le CNET. Notons également qu'à la demande du Ministère de la Culture et de la Communications, ces deux dernières commissions ont travaillé avec celle de la finance pour établir un document sur le commerce électronique (cf. annexes).
     
     

  3. La commission générale de terminologie ou COGETER.

  4.  

    Elle est au-dessus de la commission ministérielle et dépend directement du premier ministre. Elle a été créée par décret ministériel du 3 juillet 1996. Elle ne comprend pas de spécialistes du domaine concerné. Son but est de faire du choix des mots une démarche qui vise tout le monde. On y retrouvera par exemple, des ambassadeurs, des écrivains, des journalistes ; nous pouvons citer par exemple la participation d'Alain Rey, directeur des dictionnaires Robert.

    Le but des commissions ministérielle et générale est de mêler spécialistes et non spécialistes afin de garantir l'unité de la langue, sans la décorréler de la pratique. De plus une commission ministérielle des télécommunications et de l'informatique a été créée à la demande de Catherine Trautmann, ministre de la communication et de la culture, afin de rédiger des recommandations officielles de vocabulaires relatives au techniques d'Internet. Cette commission propose des vocables de manière empirique, en vue de constituer un glossaire (de 30 à 50 mots) qui servira de référence aux utilisateurs d'Internet.
     
     

  5. L'Académie Française.

C'est elle qui chaperonne le tout. Elle décide en dernier ressort des mots qui figureront au Journal Officiel, et qui devront être employés dans le cadre de la loi Toubon. Un mot qui sera finalement accepté par l'Académie concernera donc un terme qui aura été discuté auparavant par les commissions ministérielles, puis la COGETER, sachant qu'à tout moment dans la hiérarchie des commissions, un mot peut surgir par proposition spontanée de l'un des membres. Ainsi l'Académie pourra adopter un mot qui n'aura jamais été évoqué dans les commissions précédentes. On peut mentionner quelques tendances de l'Académie. Cette dernière n'est pas par principe opposée à l'anglais et se focalise sur le mot en lui-même plutôt que son origine. En revanche, ce qu'elle observe et conteste dans l'évolution de la langue est l'habitude de faire d'un substantif un épithète, en supprimant une préposition, comme par exemple dans l'expression " lien hypertexte " ou, dans un domaine plus courant une enseigne de magasin s'appelant Durand Optic.

Les décisions sont politiques ou réglementaires, et elles ne viennent jamais des constructeurs, à une exception près. Cette exception est la commande du mot ordinateur faite par IBM à un académicien, M. Pierret, professeur de latin à la Sorbonne. De même que le terme " informatique " utilisé par Dreyfuss dans le Monde en 1962 ; ce terme est resté très peu utilisé avant d'être repris dans la presse et les annonces gouvernementales. Ce dernier exemple montre l'importance de l'usage et de la circulation de l'information en marge des procédés académiques.

Le rôle des commissions est donc de fournir le vocabulaire qui doit être compréhensible pour le grand public. Ainsi il arrive que les commissions vérifient si les termes qu'elle veut présenter sont souvent repris par la presse. En revanche, définir le vocabulaire réellement technique est le rôle d'instances comme l'AFNOR et l'ISO, et également de la commission ministérielle : en effet ce vocabulaire doit être défini sans ambiguïtés, car on l'utilise pour décrire les normes.

Ainsi on peut dégager d'après la description de ces instances deux courants de vocabulaire : celui des techniciens et celui du grand public. Les premiers demandant plus de précision, les seconds des termes plus descriptifs. Doit-on par exemple parler d'ADSL ou d'" accès haut débit " ? Egalement le monde de la technique possède d'autant plus de mots que son vocabulaire s'enrichit en permanence d'un jargon de métier. Comment faire le pont alors entre le monde des initiés et le grand public ? Ce dernier adoptera-t-il mieux le terme d'origine, précis mais parfois rébarbatif ou peu imagé, ou un des vocables de l'argot du métier ?

Notons que par contraste, au Québec, l'Office de la Langue Française n'a pas la même attitude : d'une part, il fait appel à des linguistes et a une attitude plus offensive ; d'autre part, il traduit beaucoup plus de mots que l'Académie, et plus rapidement.
 
 

3) Le grand public

Si les propositions des institutions servent de référence, le temps mis pour publier ces propositions excède de beaucoup la période où les mots entrent dans le langage. De même, le meilleur critère pour décider du caractère officiel d'un mot est sa longévité : si un vocable perdure, il sera adopté et fera référence, " consacré par l'usage ". Il vaut donc mieux alors chercher les " démiurges du dicible " chez les journalistes de presse générale ou spécialisée (dans la micro-informatique par exemple) plutôt que sous un bicorne d'académicien. En effet, la presse possède le pouvoir de l'écrit et la proximité du public. Par exemple l'utilisation de glossaires souvent présents dans les articles de vulgarisation au sujet d'Internet, permet d'éduquer les lecteurs.
 
 

Y a-t-il alors conflit entre l'institution et l'usage?

On ne peut pas vraiment parler de conflit car les solutions que propose l'institution, en l'occurrence l'Académie, n'ont pas valeur d'obligation si ce n'est pour l'administration, pour l'enseignement et les contrats de travail. Il s'agit simplement de trouver un registre de langage commun, d'un niveau de langue soutenu de manière à unifier les textes adressés à tous. Celui-ci coexiste d'ailleurs avec le jargon des utilisateurs et n'est pas supposé le remplacer. Ainsi, on pourra toujours parler de " babasse " entre informaticiens avertis, mais on écrira plus volontiers " ordinateur ". De même, la présentation standard d'une carte de visite pourrait s'accommoder de l'abréviation de " Mél ". (comme " Tél. " pour téléphone) tandis que l'on parlera plus simplement de " e-mail " si l'on en a le goût.

L'avalisation du langage n'appartient donc plus aujourd'hui au créateur lui-même mais davantage à l'utilisateur du concept. Car l'utilisateur, ou plutôt la foule des utilisateurs forme une masse importante et active qui forge sa propre culture, la culture triviale.
 
 

4) La culture triviale

Le phénomène Internet a donc pris naissance dans les laboratoires et comités scientifiques. Ses applications concernent maintenant une bonne partie du " grand-public " (proportion appelée à grandir) qui peut l'utiliser à différents niveaux. C'est la vulgarisation ou démocratisation du phénomène Internet. Ceci se traduit aussi dans le langage. Tout le vocabulaire sur lequel des armées d'experts se sont mis d'accord va passer au crible de l'Usage. De plus, comme nous l'avons déjà remarqué, le phénomène Internet ne se résume pas à des apprentissages techniques. Avec Internet, c'est tout un univers qui s'ouvre, des possibilités de rapprochements, de communication qui se créent, et l'accès à un nouvel espace, le monde virtuel. Tout ceci apparaît aussi avec une très grande rapidité, donnant presque une impression d'urgence. Toutes ces dimensions se traduisent dans la floraison d'un langage un peu " sauvage ", très riche par le nombre de mots et les images auquel il fait appel, mais parfois peu logique et qui prend des libertés par rapport aux institutions. Nous pouvons u