L'invention de nouveaux mots
Édouard Estaunié, Traité pratique
de télécommunication électrique, 1904.
Le changement linguistique est un résultat de l'interaction
verbale pour répondre à des besoins précis. Le fait
de nommer est un acte de création. On peut voir essentiellement
trois raisons principales au fait que la langue française voit une
floraison de nouveaux mots liés à Internet. La première
est la nécessité d'exprimer des concepts de façon
succincte. Cet objectif est souvent respecté : en effet pour de
nombreuses raisons, on se refuse à employer des périphrases.
Le style reste souvent peu soigné : un courrier électronique
par exemple a quelques conventions, mais moins formalisées a priori
qu'une lettre écrite. La seconde raison majeure est la nécessité
d'exprimer les nouveaux concepts propres à un groupe humain (ici
les utilisateurs d'Internet). Ces mots doivent décrire des concepts
de façon succincte et précise. Un utilisateur d'Internet
consacrera beaucoup de temps à découvrir des concepts, et
il pensera commencer à les connaître à partir du moment
où il connaîtra le mot correspondant. La dernière motivation
est la volonté de marquer son appartenance au groupe de ceux qui
savent utiliser Internet, et d'impressionner ceux qui ne connaissent pas
ces termes ou ces concepts. Les concepts et les termes en effet vont de
pair ici, notamment lorsqu'on se refuse à employer des périphrases.
Cela va jusqu'au snobisme, au jargonnage et peut-être à l'hypercorrection
(attitude qui consiste à substituer à une forme supposée
à tort correcte une forme supposée plus correcte).
Ces trois points sont valables pour tous les acteurs qui participent à la création des mots. Les innovations peuvent avoir ou non un caractère éphémère. En fait, de nombreux mots viennent de l'anglais ou empruntent une façon de le créer typiquement anglo-saxonne : on crée beaucoup de mots et certains seulement s'imposeront. Le sens n'est même pas nécessairement précis dans certains cas assez rares ; dans d'autres cas, le mot avait un sens précis lors de sa création mais a changé de sens ou acquis un sens moins précis, car il est utilisé par un groupe différent ou plus important de personne. Chaque nouveau concept apparaît d'ailleurs historiquement (à quelques exceptions près) avec un terme anglais. Ceci ne veut pas dire que tout est d'origine américaine : le Web par exemple est apparu au CERN (Centre européen de recherche nucléaire), en Suisse [11][12][13][16].
Cette arrivée de termes anglais a donné lieu à
de nombreuses réactions[3]. Comme toujours dans la francophonie,
l'utilisation de l'anglais a des connotations culturelles et sociales très
fortes. Il est désormais possible, avec un peu de bonne volonté,
d'avoir à propos d'Internet, un français non parsemé
d'une moitié de termes anglais : les Canadiens francophones notamment
ont réagi plus vite, créé un vocabulaire francophone
car ils sont plus sensibles à cette nouvelle culture (baptisée
« cyberculture ») et à la présence de l'anglais. D'autre part,
en France, des arrêtés ont été signés
ou sont en passe de l'être ; des commissions se sont penchées
sur la question ; des bénévoles y ont réfléchi,
ont cherché à trouver des traductions à ces mots ou
même traduits entièrement des documents et des logiciels.
Signalons aussi bien sûr l'effort des Belges, des Suisses et de la
communauté francophone en général.