Index
Remerciements
Introduction
Partie 1 - L'invention de nouveaux mots.
Partie 2 - Les mécanismes d'acceptation des mots.
Partie 3 - Une nouvelle tour de Babel
Annexe A - Origine du préfixe « cyber »
Annexe B - L'exemple du courrier électronique
Annexe C - Les smileys et les noms de domaine
Annexe D - Origine étymologique du terme arobase
Annexe E - Sources officielles
Glossaire
Bibliographie
Bibliographie annexe
 

Annexe A: L'origine du préfixe " cyber "

Cette annexe vise à résumer et expliquer le sens exact du préfixe cyber- et des termes associés. Ce préfixe n'est en fait pas un préfixe traditionnel. Certes, il est issu du grec, mais ce n'est pas un authentique préfixe comme ana- ou hyper- . Il s'agit d'une coupure arbitraire du mot cybernétique qui a lui une réelle origine étymologique. Nous étudierons d'abord ce qu'est la cybernétique et ensuite comment le préfixe a été repris ailleurs et ce qu'il sous-entend.
 

  1. La cybernétique

La cybernétique est étymologiquement la science du gouvernement (du grec kubernêtiké, de kubernein, kubernaô : gouverner, diriger, se diriger ou encore kubernan : Le pilote du navire). Le terme est d'abord inventé par Ampère en 1834 et repris par le mathématicien Norbert Wiener dans son texte fondateur de 1948 (Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine). Il la définit comme l'étude du contrôle et de la communication dans les machines et les êtres vivants. En fait, Norbert Wiener a donné à la fois à " cybernétique " un sens technique et un sens culturel et métaphysique. A côté d'une théorie scientifique très précise qui est utilisée par les chercheurs, il a donné un sens philosophique à sa théorie qui a généré toute la cyberculture.
 
 

  1. Le sens scientifique

  2. Ce terme désigne à l'origine, dans les années 1950, la science relative aux communications et à la régulation dans l'être vivant et la machine : ce terme est dès le départ ambigu (un terme plus précis serait " télétechnique "). Retenons donc que ce terme s'applique aux communications avec ou par l'intermédiaire d'une machine. Ce terme est donc forgé comme beaucoup de termes scientifiques, dans la plus pure tradition qui consiste à prendre une racine grecque. A l'origine, la cybernétique désigne donc la science des " machines qui ont le pouvoir de se conduire elles-mêmes ".

    La cybernétique concerne en fait l'ensemble des activités humaines, sa vocation étant l'étude des comportements humains, animaux, biologiques et mécaniques, afin de les reproduire. La notion de traitement de l'information y joue un rôle essentiel. Le mot cybernétique peut s'appliquer à tout organisme, toute mécanique, intégrant un traitement de l'information dans son fonctionnement. Le champ d'application du terme cybernétique devenant trop confus du fait de ses utilisations populaires, les scientifiques le remplaceront par le mot de systémique afin de retrouver son sens originel ou un sens plus scientifique. Au départ, systémique et cybernétique étaient proches, mais le second a d'une part été restreint dans son acceptation scientifique, d'autre part acquis un autre sens dans la culture populaire et enfin fait référence à certaines attitudes philosophiques.

    La systémique, ou analyse des systèmes, a un champ d'application très large et étudie un système dans sa globalité et son interaction avec l'environnement. Elle s'applique aussi bien à un système politique, biologique ou technologique. La cybernétique est un domaine beaucoup plus restreint, puisque ne s'appliquant que dans le cadre d'une action orientée vers un but, et étudie les processus de commande, de transfert de l'information et de rétroaction (théorie du contrôle). En automatisme, celle-ci est liée aux choix technologiques faits, les processus de commande et de transfert étant fondamentalement différents.

    En un sens, on peut considérer que la cybernétique est incluse partiellement dans la systémique. En automatisme, on pourra éventuellement parler de systémique pour un ensemble de systèmes, mais cela reste de la cybernétique au niveau du système isolé car il faut alors tenir compte de la physique. La confusion viendrait du fait que la méthodologie d'analyse issue des travaux de Wiener a été appliquée avec succès dans des domaines très différents comme la biologie, analogie soulignée dès le départ par Wiener. Celle-ci n'est toutefois pas parfaite car les structures même de feed-back sont complètement dissemblables. Par exemple, un système technologique utilisera une variation de gain ou une chose de ce genre, quand les systèmes biologiques peuvent faire varier les paramètres structuraux eux-mêmes, ce qui rend l'analogie caduque à l'échelon du système complexe. La systémique n'impose pas de considérer le fonctionnement réel d'un système. On peut se contenter d'une boite noire régie par des lois de rétroaction apparentes. En cybernétique, on considère dans tous les cas les processus réels car ceux-ci sont dépendants du support physique (ex, en hydraulique, une variation de débit peut engendrer des contre-pressions dont il faut tenir compte, sinon les transitoires risquent de fausser le fonctionnement du système). La systémique a une visée globale et pas forcément appliquée.

    De plus, les sens acceptés sont différents en français et en anglais, le sens anglais de cybernétique étant (selon certains) plus général. Les scientifiques évitent désormais d'employer ce terme.
     
     

  3. Le sens métaphysique

  4. Norbert Wiener a également investi la cybernétique d'un sens beaucoup plus large, d'un rôle presque métaphysique, faisant de l'échange d'information une caractéristique fondamentale des mécanismes qui régissent la vie et l'univers. Plus un être aura un comportement de communication complexe, plus il sera haut dans la hiérarchie de la vie. Ce concept associé aux notions de Noosphère de Teilhard de Chardin jouera un rôle important dans la mythologie new-age et cyberpunk de la fin du second millénaire. Wiener a aussi donné à la cybernétique une dimension philosophique qui est présente dans ses différents textes, en particulier dans The human use of human beings en 1948.

    Il se trouve que maintenant le préfixe " cyber " réfère à un courant d'idées précis, une conception du monde, où l'homme et ses sociétés sont définis à travers des processus informationnels qui n'ont plus grand chose à voir avec les systèmes de commande. Le mot cybernétique, lié à la théorie de l'information se retrouve donc investi d'une dimension philosophique plus large que les problèmes de commande et de rétroaction. Le préfixe " cyber " est donc en général utilisé avec raison par les cyberpunks.

  5. Quelques citations

Selon Philippe Breton:

Wiener, dans cet ouvrage qui a connu deux traductions successives en français, propose de reconnaître la communication comme valeur centrale pour l'homme et la société, en même temps qu'il se déchaîne contre tous les régimes, notamment fascistes et totalitaires mais aussi contre les démocraties libérales, qui font (à l'opposé de ce que la communication permet) un usage " non humain " des êtres humains. Ce texte exerce, sous des formes diverses, une profonde influence jusqu'à aujourd'hui, dans tous les discours et toutes les représentations de la " communication ". Précisons que cet auteur dénonce l'utopie de la communication qui sous-tend la culture populaire.

Selon l'Encyclopedia Universalis :

Norbert Wiener: Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (1948). Wiener fait la synthèse de toute une série de recherches poursuivies dans le domaine des mathématiques pures (théorie de la prédiction statistique), dans le domaine de la technologie (machines à calculer, télécommunications), dans ceux de la biologie et de la psychologie, et jette les bases d'une science nouvelle, à support mathématique, destinée à couvrir tous les phénomènes qui, d'une manière ou d'une autre, mettent en jeu des mécanismes de traitement de l'information. Article de Jacques Hebenstreit, toujours dans l'encyclopédie Universalis qui met en évidence que la cybernétique est appliquée à de la prospective sociale : La cybernétique nous oblige à considérer l'action dans une perspective beaucoup plus vaste que celle de l'action individuelle. L'automatisation crée un réseau, les machines sont interconnectées et relient des individus de plus en plus nombreux. Le contrôle joue donc non seulement sur le plan du comportement individuel, mais aussi au niveau des régulations collectives. Cela signifie probablement la disparition de la notion de " grand individu" (au sens de héros historique) et l'avènement de nouvelles formes de vie sociale, fondées sur la collaboration, la complémentarité, l'ajustement réciproque de type rationnel. On peut faire l'hypothèse que le lien social, dans une civilisation ayant la cybernétique pour base, reposera non plus sur l'affectivité, le sentiment d'appartenance à une communauté, la médiation des symboles, mais sur la réalité de l'échange, la solidarité opérationnelle, la coresponsabilité effective.
  1. L'imaginaire collectif : cyberespace et cyberpunk

Le cyberpunk est une transposition dans la science-fiction des idées punks. C'est à la base du nouveau sens donné au préfixe cyber-. Il peut avoir une connotation optimiste ou pessimiste. Dans la vision optimiste, une sorte de sphère spirituelle existe au moyen des réseaux informatiques. Dans la version pessimiste, la liberté individuelle est restreinte et sous surveillance électronique tandis que les pouvoirs sont concentrés dans les mains de puissances financières occultes. L'état n'est plus le garant des libertés et les médias, très présents, se livrent à des manipulations extrêmement poussées. On constate souvent une dégradation avancée de la société et une fracture sociale très importante. Dans ce futur pessimiste, la seule issue est la rébellion libertaire. Le corps est modifié par la technologie, les drogues, les mutations, les greffes, les mutilations et les opérations comme le piercing ou la disparition de la pilosité. Le corps peut être amplifié, mécanisé par des moyens biologiques ou mécaniques. La technologie est à la fois source de fascination et de méfiance. La sexualité et les relations sociales en sont bien entendus affectées.

Dans cet univers technologique, le piratage informatique est vu comme un instrument de liberté ou de lutte contre le totalitarisme technocratique. La connexion sur l'informatique et les réseaux (cyberespace) est souvent réalisée directement par des implants, ou des modifications biologiques de notre organisme. Les mondes virtuels sont partie intégrante de la vie, provoquant une perte de la distinction entre réalité et apparence.

Le préfixe cyber- permet d'introduire l'informatique, soit comme moyen de créer une sorte de sphère intellectuelle ; d'intelligence collective, soit comme moteur pour asseoir la domination des puissants, soit comme outil de défense. Le néologisme " cyberpunk " est apparu pour la première fois comme titre d'une nouvelle de Bruce Bethke écrite en 1980 et éditée en novembre 1983 . Le mot a été popularisé par un article de 1984 dans le Washington Post du critique Gardner Dozois à propos de nouvelles de SF violentes et High-Techs. " Cyberespace " serait dû au fameux livre salué comme le fondateur du mouvement, Neuromancer, de William Gibson. La rumeur veut que Gibson ne sache en fait pas (en 1997) se servir d'un ordinateur. Certains informaticiens (cf. Jargon file, [18] rubrique " cyberspace ") considèrent la vision de Gibson comme naïve, irritante et fascinante tout à la fois.

On peut citer William Gibson ou Philip K. Dick (ou son disciple K.W. Jeters) pour une interprétation de ce genre et Bruce Sterling pour un ton plus optimiste. On peut se référer aussi Pierre Teilhard de Chardin, Ballard, Burroughs, Aldous Huxley, John Brunner. Au cinéma, Brazil, Terminator, Blade Runner, Total Recall (ces deux derniers étant des adaptations de deux ouvrages de Dick) et Tron représentent le genre, à des degrés différents et avec des styles radicalement distincts. De nombreuses œuvres de bandes dessinées ont également introduit ce genre dans la culture populaire.

Les robots et les ordinateurs font bien sûr partie du paysage cybernétique : le mot " robot " est tiré du tchèque pour " travailleur ", et apparaît pour la première fois dans une pièce de théâtre de Karel Capek, où les robots sont une métaphore du prolétariat opprimé et finissent par se révolter. On retrouve pêle-mêle dans l'imaginaire les robots d'Isaac Asimov, régis par les trois lois ; HAL 9000 , l'ordinateur de 2001, l'Odyssée de l'Espace, prêt à l'homicide pour sa survie ; Joshua, l'ordinateur du film Wargames, R2­D2 le réparateur au langage sifflé de La Guerre des Etoiles, Frankenstein et Terminator. Le Terminator, Robocop ou l'homme qui valait trois milliards (inspiré du roman Cyborg de Martin Caidin) sont justement des " cyborgs ", c'est à dire des cyber-organismes.

Le terme et la culture sous-jacente étant popularisés au cours des années 1980 sur ce terme, il n'est pas étonnant de le retrouver partout: " cybernaute ", " cybersexe ", " cybercrime ", " cyberkillers ", voire même dans des jeux de mots : " cipherpunk " (de " ciphering " : chiffrement et " cyberpunk ").
 
 
 
 


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