Cette annexe vise à résumer et expliquer le sens exact
du préfixe cyber- et des termes associés. Ce préfixe
n'est en fait pas un préfixe traditionnel. Certes, il est issu du
grec, mais ce n'est pas un authentique préfixe comme ana- ou hyper-
. Il s'agit d'une coupure arbitraire du mot cybernétique qui a lui
une réelle origine étymologique. Nous étudierons d'abord
ce qu'est la cybernétique et ensuite comment le préfixe a
été repris ailleurs et ce qu'il sous-entend.
La cybernétique est étymologiquement la science du gouvernement
(du grec kubernêtiké, de kubernein,
kubernaô
: gouverner, diriger, se diriger ou encore kubernan : Le pilote du navire).
Le terme est d'abord inventé par Ampère en 1834 et repris
par le mathématicien Norbert Wiener dans son texte fondateur de
1948
(Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine).
Il la définit comme l'étude du contrôle et de la communication
dans les machines et les êtres vivants. En fait, Norbert Wiener a
donné à la fois à " cybernétique " un
sens technique et un sens culturel et métaphysique. A côté
d'une théorie scientifique très précise qui est utilisée
par les chercheurs, il a donné un sens philosophique à sa
théorie qui a généré toute la cyberculture.
Ce terme désigne à l'origine, dans les années
1950, la science relative aux communications et à la régulation
dans l'être vivant et la machine : ce terme est dès le départ
ambigu (un terme plus précis serait " télétechnique
"). Retenons donc que ce terme s'applique aux communications avec ou par
l'intermédiaire d'une machine. Ce terme est donc forgé comme
beaucoup de termes scientifiques, dans la plus pure tradition qui consiste
à prendre une racine grecque. A l'origine, la cybernétique
désigne donc la science des " machines qui ont le pouvoir de se
conduire elles-mêmes ".
La cybernétique concerne en fait l'ensemble des activités humaines, sa vocation étant l'étude des comportements humains, animaux, biologiques et mécaniques, afin de les reproduire. La notion de traitement de l'information y joue un rôle essentiel. Le mot cybernétique peut s'appliquer à tout organisme, toute mécanique, intégrant un traitement de l'information dans son fonctionnement. Le champ d'application du terme cybernétique devenant trop confus du fait de ses utilisations populaires, les scientifiques le remplaceront par le mot de systémique afin de retrouver son sens originel ou un sens plus scientifique. Au départ, systémique et cybernétique étaient proches, mais le second a d'une part été restreint dans son acceptation scientifique, d'autre part acquis un autre sens dans la culture populaire et enfin fait référence à certaines attitudes philosophiques.
La systémique, ou analyse des systèmes, a un champ d'application très large et étudie un système dans sa globalité et son interaction avec l'environnement. Elle s'applique aussi bien à un système politique, biologique ou technologique. La cybernétique est un domaine beaucoup plus restreint, puisque ne s'appliquant que dans le cadre d'une action orientée vers un but, et étudie les processus de commande, de transfert de l'information et de rétroaction (théorie du contrôle). En automatisme, celle-ci est liée aux choix technologiques faits, les processus de commande et de transfert étant fondamentalement différents.
En un sens, on peut considérer que la cybernétique est incluse partiellement dans la systémique. En automatisme, on pourra éventuellement parler de systémique pour un ensemble de systèmes, mais cela reste de la cybernétique au niveau du système isolé car il faut alors tenir compte de la physique. La confusion viendrait du fait que la méthodologie d'analyse issue des travaux de Wiener a été appliquée avec succès dans des domaines très différents comme la biologie, analogie soulignée dès le départ par Wiener. Celle-ci n'est toutefois pas parfaite car les structures même de feed-back sont complètement dissemblables. Par exemple, un système technologique utilisera une variation de gain ou une chose de ce genre, quand les systèmes biologiques peuvent faire varier les paramètres structuraux eux-mêmes, ce qui rend l'analogie caduque à l'échelon du système complexe. La systémique n'impose pas de considérer le fonctionnement réel d'un système. On peut se contenter d'une boite noire régie par des lois de rétroaction apparentes. En cybernétique, on considère dans tous les cas les processus réels car ceux-ci sont dépendants du support physique (ex, en hydraulique, une variation de débit peut engendrer des contre-pressions dont il faut tenir compte, sinon les transitoires risquent de fausser le fonctionnement du système). La systémique a une visée globale et pas forcément appliquée.
De plus, les sens acceptés sont différents en français
et en anglais, le sens anglais de cybernétique étant (selon
certains) plus général. Les scientifiques évitent
désormais d'employer ce terme.
Norbert Wiener a également investi la cybernétique
d'un sens beaucoup plus large, d'un rôle presque métaphysique,
faisant de l'échange d'information une caractéristique fondamentale
des mécanismes qui régissent la vie et l'univers. Plus un
être aura un comportement de communication complexe, plus il sera
haut dans la hiérarchie de la vie. Ce concept associé aux
notions de Noosphère de Teilhard de Chardin jouera un rôle
important dans la mythologie new-age et cyberpunk de la fin du second millénaire.
Wiener a aussi donné à la cybernétique une dimension
philosophique qui est présente dans ses différents textes,
en particulier dans The human use of human beings en 1948.
Il se trouve que maintenant le préfixe " cyber " réfère à un courant d'idées précis, une conception du monde, où l'homme et ses sociétés sont définis à travers des processus informationnels qui n'ont plus grand chose à voir avec les systèmes de commande. Le mot cybernétique, lié à la théorie de l'information se retrouve donc investi d'une dimension philosophique plus large que les problèmes de commande et de rétroaction. Le préfixe " cyber " est donc en général utilisé avec raison par les cyberpunks.
Selon Philippe Breton:
Selon l'Encyclopedia Universalis :
Le cyberpunk est une transposition dans la science-fiction des idées punks. C'est à la base du nouveau sens donné au préfixe cyber-. Il peut avoir une connotation optimiste ou pessimiste. Dans la vision optimiste, une sorte de sphère spirituelle existe au moyen des réseaux informatiques. Dans la version pessimiste, la liberté individuelle est restreinte et sous surveillance électronique tandis que les pouvoirs sont concentrés dans les mains de puissances financières occultes. L'état n'est plus le garant des libertés et les médias, très présents, se livrent à des manipulations extrêmement poussées. On constate souvent une dégradation avancée de la société et une fracture sociale très importante. Dans ce futur pessimiste, la seule issue est la rébellion libertaire. Le corps est modifié par la technologie, les drogues, les mutations, les greffes, les mutilations et les opérations comme le piercing ou la disparition de la pilosité. Le corps peut être amplifié, mécanisé par des moyens biologiques ou mécaniques. La technologie est à la fois source de fascination et de méfiance. La sexualité et les relations sociales en sont bien entendus affectées.
Dans cet univers techno logique, le piratage informatique est vu comme un instrument de liberté ou de lutte contre le totalitarisme technocratique. La connexion sur l'informatique et les réseaux (cyberespace) est souvent réalisée directement par des implants, ou des modifications biologiques de notre organisme. Les mondes virtuels sont partie intégrante de la vie, provoquant une perte de la distinction entre réalité et apparence.
Le préfixe cyber- permet d'introduire l'informatique, soit comme moyen de créer une sorte de sphère intellectuelle ; d'intelligence collective, soit comme moteur pour asseoir la domination des puissants, soit comme outil de défense. Le néologisme " cyberpunk " est apparu pour la première fois comme titre d'une nouvelle de Bruce Bethke écrite en 1980 et éditée en novembre 1983 . Le mot a été popularisé par un article de 1984 dans le Washington Post du critique Gardner Dozois à propos de nouvelles de SF violentes et High-Techs. " Cyberespace " serait dû au fameux livre salué comme le fondateur du mouvement, Neuromancer, de William Gibson. La rumeur veut que Gibson ne sache en fait pas (en 1997) se servir d'un ordinateur. Certains informaticiens (cf. Jargon file, [18] rubrique " cyberspace ") considèrent la vision de Gibson comme naïve, irritante et fascinante tout à la fois.
On peut citer William Gibson ou Philip K. Dick (ou son disciple K.W. Jeters) pour une interprétation de ce genre et Bruce Sterling pour un ton plus optimiste. On peut se référer aussi Pierre Teilhard de Chardin, Ballard, Burroughs, Aldous Huxley, John Brunner. Au cinéma, Brazil, Terminator, Blade Runner, Total Recall (ces deux derniers étant des adaptations de deux ouvrages de Dick) et Tron représentent le genre, à des degrés différents et avec des styles radicalement distincts. De nombreuses œuvres de bandes dessinées ont également introduit ce genre dans la culture populaire.
Les robots et les ordinateurs font bien sûr partie du paysage cybernétique : le mot " robot " est tiré du tchèque pour " travailleur ", et apparaît pour la première fois dans une pièce de théâtre de Karel Capek, où les robots sont une métaphore du prolétariat opprimé et finissent par se révolter. On retrouve pêle-mêle dans l'imaginaire les robots d'Isaac Asimov, régis par les trois lois ; HAL 9000 , l'ordinateur de 2001, l'Odyssée de l'Espace, prêt à l'homicide pour sa survie ; Joshua, l'ordinateur du film Wargames, R2D2 le réparateur au langage sifflé de La Guerre des Etoiles, Frankenstein et Terminator. Le Terminator, Robocop ou l'homme qui valait trois milliards (inspiré du roman Cyborg de Martin Caidin) sont justement des " cyborgs ", c'est à dire des cyber-organismes.
Le terme et la culture sous-jacente étant popularisés
au cours des années 1980 sur ce terme, il n'est pas étonnant
de le retrouver partout: " cybernaute ", " cybersexe ", " cybercrime ",
" cyberkillers ", voire même dans des jeux de mots : " cipherpunk
" (de " ciphering " : chiffrement et " cyberpunk ").